
Les vins du Château Lafleur seront classés en Vin de France à partir du millésime 2025.
La famille Guinaudeau rompt avec les AOC pour affronter le changement climatique
À l’occasion de leur quarantième vendange, la famille Guinaudeau a annoncé une décision historique : à partir du millésime 2025, l’ensemble de leurs vins seront étiquetés Vin de France. Cette annonce, fruit d’une longue réflexion, marque une rupture avec les appellations Pomerol et Bordeaux, auxquelles la famille était fidèle depuis plus d’un siècle.
« Le climat change vite et fort, cela ne fait aucun doute. Les millésimes 2015, 2019 et surtout 2022 en ont été de fortes preuves. 2025 va encore plus loin. Nous devons penser, nous réadapter, agir », explique la famille dans un communiqué. Les Guinaudeau estiment que leurs pratiques d’adaptation évoluent désormais plus rapidement que ce qu’autorise le système actuel des Appellations d’Origine.
Cette décision s’applique à l’ensemble des six cuvées de la Société Civile du Château Lafleur : Château Lafleur et Les Pensées de Lafleur (Pomerol), Les Perrières et Les Champs Libres (Grand Village à Mouillac), ainsi que Château Grand Village rouge et blanc. Un choix fort, dans la lignée des orientations prises par la famille depuis 1985, qui doit leur permettre d’affronter la réalité climatique « avec précision et efficacité », tout en préservant la continuité et l’identité du terroir de Pomerol.
Deux décennies de réflexion et d’expérimentation
Le tournant remonte à 2003, année de la première grande canicule. Pour la famille, ce fut une révélation : dès lors, la conduite du vignoble a été repensée. Baisse drastique de la hauteur de feuillage, épaississement de la canopée, apports d’eau ponctuels enfouis à 15 cm de profondeur sur les parcelles les plus fragiles… autant de mesures inédites qui permirent d’obtenir, malgré les chaleurs extrêmes, une vendange précoce (26 août) d’une qualité exceptionnelle : petites baies concentrées, acidités préservées, maturité des tanins et fraîcheur du feuillage.
Ces résultats ont conforté la conviction que la vigne pouvait résister, mais seulement au prix d’une adaptation rapide et continue. En 2010 et 2011, la famille constate que le stress hydrique peut devenir pénalisant. Entre 2012 et 2024, un vaste programme d’équipement et d’expérimentation est mis en place : stations météo, suivis hydriques, essais de paillage, dispositifs d’ombrage, gestion fine de la canopée. Deux millésimes marquent particulièrement les esprits : 2019 et 2022, années sèches et brûlantes, qui achèvent de convaincre que « le changement est sous nos yeux, et ce n’est que le début ».
2025, l’année charnière
Le millésime 2025 confirme cette trajectoire. Après un hiver correctement arrosé mais un printemps déjà déficitaire (-73 % de pluie en mars), la sécheresse s’installe dès le mois de juin. Entre le 20 mai et le 20 août, pas une seule pluie significative. Les vagues de chaleur se succèdent, culminant avec des températures records : 41,5 °C à la station météo, 44 °C sur grappes à l’ombre et jusqu’à 49,7 °C sur fruits exposés.
Face à ces extrêmes, les Guinaudeau estiment que l’AOC ne leur permet plus d’agir avec la souplesse nécessaire. L’exemple est parlant : en 2025, l’autorisation exceptionnelle d’irriguer n’a été délivrée que le 22 août, à quelques jours des vendanges, sans précision sur volumes ni origine de l’eau. « Trop tard, trop vague », dénoncent-ils.
Les pistes d’avenir
La famille identifie cinq leviers concrets pour l’avenir de la viticulture :
adapter la densité de plantation aux réserves hydriques réelles (parfois < 5000 pieds/ha),
généraliser le paillage pour limiter l’évaporation,
autoriser les dispositifs d’ombrage,
réduire fortement la hauteur de feuillage,
et surtout encadrer l’irrigation, non plus en la limitant mais en en fixant clairement les modalités.
En revanche, ils excluent catégoriquement l’introduction de cépages étrangers. « L’association de grands sols viticoles et d’un patrimoine génétique local exceptionnel garantit la typicité de nos vins », rappellent-ils.
Une rupture assumée
Avec cette décision radicale de quitter les AOC, la famille Guinaudeau entend rester fidèle à l’esprit de Pomerol tout en se donnant les moyens de continuer à produire des vins d’excellence.
« Ensemble, changeons l’avenir, tout en restant nous-mêmes », conclut la famille, espérant ouvrir un débat constructif sur l’avenir de la viticulture face au défi climatique.