Le nouveau visage de l’Alsace

Le Pinot Noir et le nouveau défi pour l’avenir

 

 

La viticulture alsacienne a des origines anciennes, peut-être celtes, mais c’est avec la conquête romaine, en 58 avant J.-C., que la culture de la vigne s’est véritablement implantée. Dès l’époque romaine, les vins d’Alsace jouissaient d’une solide réputation, à tel point que l’empereur Domitien fut contraint de limiter leur production pour protéger les vignobles italiens. Au Moyen Âge, les monastères ont joué un rôle crucial dans la préservation et l’affinement des techniques viticoles. Dès le IXe siècle, les vins alsaciens étaient exportés vers des destinations telles que la Hollande, la Suisse et l’Allemagne. Le vignoble alsacien a atteint son apogée au XVIe siècle, couvrant une superficie deux fois supérieure à celle d’aujourd’hui. Cependant, les guerres, les maladies de la vigne et les crises économiques ont entraîné un déclin progressif. Aujourd’hui, l’Alsace compte environ 15 500 à 15 900 hectares de vignobles, dont la production est principalement axée sur les vins blancs (environ 90 %). Les principaux cépages sont le riesling, le gewürztraminer, le pinot gris et le muscat. Cependant, le pinot noir, le seul cépage rouge important de la région, prend de plus en plus d’importance. Il représente aujourd’hui environ 11 % de la superficie du vignoble (environ 1 700 hectares).

Cultivé principalement sur les pentes inférieures des Vosges, sur des sols granitiques, volcaniques et schisteux, le Pinot Noir alsacien s’exprime avec une fraîcheur, une élégance et une buvabilité uniques, offrant une alternative distinctive aux rouges plus structurés de Bourgogne ou du Rhône. Le climat doux et semi-continental de la région, protégé par les Vosges, permet une maturation lente et préserve l’acidité naturelle. Au cours des deux dernières décennies, le Pinot Noir d’Alsace a connu un saut qualitatif remarquable. Les progrès réalisés dans les techniques de vinification et de vieillissement, notamment l’utilisation de fermentations en grappes entières, de fûts de chêne plus grands et d’une intervention minimale, ont permis de produire des vins plus raffinés, plus précis et plus fidèles à leur terroir. Ces vins n’essaient pas d’imiter la Bourgogne, mais présentent au contraire une identité alsacienne authentique. La reconnaissance officielle des grands crus de pinot noir – Kirchberg de Barr, Hengst et, à partir de 2024, Vorbourg – a marqué un tournant pour la région, en acceptant formellement que le vin rouge fasse partie de la production haut de gamme de l’Alsace. Les propositions visant à introduire une classification en premier cru reflètent le dynamisme et l’évolution qualitative de la région. Dans le même temps, l’Alsace est confrontée à des défis structurels : la superficie des vignobles augmente lentement, le nombre de caves diminue et les exportations restent sous pression sur des marchés très concurrentiels. Cependant, des signes positifs apparaissent, notamment dans des pays comme l’Italie, où le crémant d’Alsace et les vins tranquilles haut de gamme gagnent du terrain. La polyvalence gastronomique du pinot noir, associée à la demande croissante des consommateurs pour des vins rouges frais et élégants, contribue à positionner l’Alsace comme une source de vin fin de plus en plus attrayante. Le succès renouvelé du pinot noir alsacien reflète également le contexte plus large de la flambée des prix et de la disponibilité limitée du pinot noir bourguignon. Les vins rouges d’Alsace représentent désormais une alternative crédible, authentique et accessible, capable d’offrir élégance, tension et potentiel de vieillissement sans compromettre leur propre identité. Des producteurs visionnaires ont été à l’origine de cette renaissance, en élaborant des pinots noirs qui sont indubitablement alsaciens et non bourguignons. Aujourd’hui, la scène viticole alsacienne est dynamique, diversifiée et tournée vers l’avenir. Parallèlement à sa réputation historique de vins blancs aromatiques, les vins rouges – menés par le Pinot Noir – retrouvent une place centrale, mettant en valeur l’extraordinaire richesse et le potentiel de la région. Pour les amateurs de vin qui recherchent des vins authentiques, complexes et accessibles, l’Alsace représente l’une des frontières les plus passionnantes du paysage viticole européen.

Parmi les nombreux domaines que nous avons visités, deux se sont distingués par leur capacité à exprimer tout le potentiel du pinot noir alsacien : le Domaine Weinbach et le Domaine Schoenheitz.

Domaine Weinbach : icône de l’élégance et de l’histoire

Le Domaine Weinbach est l’un des noms les plus emblématiques et les plus respectés de la viticulture alsacienne. Situé à Kaysersberg, au pied de la colline couronnée par le château médiéval qui lui a donné son nom, il couvre environ 28 hectares et s’enorgueillit d’une tradition séculaire, aujourd’hui poursuivie avec passion par la famille Faller. La philosophie de vinification de einbach est ancrée dans l’agriculture biodynamique, avec un profond respect du terroir et une vinification méticuleuse visant à mettre en valeur l’identité de chaque parcelle individuelle. Le domaine se concentre principalement sur deux types de sols : les pentes granitiques de « La Colline du Château » et les sols marno-calcaires de l' »Altenbourg » et du Grand Cru Furstentum. Chacun de ces terroirs offre une expression distincte du Pinot Noir, avec une voix pure, délicate et vibrante qui reste fidèle aux nuances climatiques de chaque millésime. Le millésime 2021 a été frais, marqué par une maturation tardive et la menace constante du mildiou, mais Weinbach a réussi à préserver la qualité du raisin, produisant des rouges d’une élégance et d’une tension extraordinaires. En revanche, 2022 a bénéficié d’un climat plus chaud et plus sec, ce qui a donné des vins plus riches et plus ronds, tout en conservant la fraîcheur caractéristique du domaine.

 

Domaine Schoenheitz, précision et biodiversité

Le Domaine Schoenheitz est situé à Wihr-au-Val, sur le versant sud des Vosges. Le domaine couvre environ 17 hectares de vignobles situés entre 300 et 500 mètres d’altitude. La famille Schoenheitz, originaire d’Autriche et installée en Alsace après la guerre de Trente Ans (1648), a repris la viticulture dans les années 1980 sous la direction de Dominique et Henri Schoenheitz, Adrien Schoenheitz ayant rejoint le domaine en 2014. Depuis, le domaine a fait du développement durable et de la gestion du terroir sa mission principale, obtenant la certification HVE (Haute Valeur Environnementale). Le domaine s’articule autour de quatre crus principaux : Herrenreben, Holder, Linsenberg et Val Saint Grégoire, tous caractérisés par des sols granitiques avec des quantités variables d’argile et de squelette sablonneux. Les pentes abruptes ne permettent pas la mécanisation, donc tous les travaux de la vigne sont effectués manuellement, soutenus par un corridor écologique naturel qui préserve la biodiversité et assure un impact minimal sur l’environnement. En cave, le Pinot Noir est vinifié selon un protocole strict : égrappage doux, macération de 15 jours avec remontages délicats, infusion contrôlée et élevage en barrique pendant environ 12 mois. L’objectif est d’extraire la finesse tannique, la fraîcheur et l’élégance, en évitant l’agressivité rustique parfois associée à des pinots noirs de moindre qualité. Le domaine propose une gamme de vins allant d’un Pinot Noir « Tradition » à des embouteillages plus spécifiques tels que Val Saint Grégoire, Herrenreben et Linsenberg, avec des vins qui évoluent magnifiquement dans le temps et reflètent fidèlement leur terroir.