Il faut sauver le soldat Sauternes !

Il faut sauver le soldat Sauternes !

Il faut sauver le soldat Sauternes !

 

Une appellation de légende en grand danger…

 

 

Il est des appellations dont la seule évocation laisse l’esprit rêveur et les papilles en alerte. Sauternes est l’une d’elle ! Parler des vins de Sauternes ce n’est pas que parler de l’Or liquide de Bordeaux, c’est aussi entrer dans la légende des grands vins liquoreux du monde. C’est entrer dans la gourmandise, dans un monde de douceur mais également dans l’histoire de France. Car le Sauternes est notre patrimoine commun.

Dans cet article je souhaite vous exposer une problématique qui est selon moi de plus en plus préoccupante, certes pour cette appellation, mais de manière plus générale pour l’ensemble des vins liquoreux. Autant être honnête, je suis un épicurien, amoureux des vins en général, de leur histoire mais avec une attirance particulière pour les grands vins liquoreux du monde. A noter également qu’il est très rare que je prenne la plume de manière aussi personnelle, à la première personne du singulier.

©SéverineDejean

Il serait passionnant de débuter cet article par l’histoire de Sauternes mais je me dois, pour être efficient, de remettre cette partie à un article ultérieur afin de me consacrer pleinement à la problématique du jour. Actuellement, il y a autant de bouteilles qui sortent des chais de Sauternes que de critiques gastronomiques au fast food ! Autrement dit très peu contrairement à ce que l’imagination peut laisser penser ! Si peu au point qu’il me semble que le devenir sur les 50 prochaines années de l’appellation Sauternes en tant qu’appellation produisant des vins liquoreux est en danger si nous (toute la filière + consommateurs) ne réagissons pas très vite.

Que représente Sauternes et les vins liquoreux sur le marché ?

La production de vin liquoreux en France représente 1% de la production totale, soit un peu plus de 69.000 hectolitres (environ 9.200.000 bouteilles). Il suffirait donc qu’un français sur 7 achète une bouteille de liquoreux une seule fois par an pour écouler la totalité de la production annuelle de vins liquoreux Français permettant ainsi à nos vignerons de vivre. Cela permettrait également de conserver cette formidable diversité que nous avons au sein de nos appellations liquoreuses.

D’où vient le problème ?

A mon sens le problème est multifactoriel, la responsabilité ne porte pas que sur un seul acteur du marché mais sur nous tous.

Avant tout je dirais que l’AOC pâtie encore d’une mauvaise réputation issue des années 80/90 liée à la course au sucre résiduel. Et cela même si cette « tendance » s’est inversée depuis de nombreuses années, notamment grâce au changement de génération qui s’est produit. En effet aujourd’hui le mot clé pour chaque vigneron de cette appellation de légende est « é-q-u-i-l-i-b-r-e » ! On ne se concentre plus uniquement sur le sucre, sur la quantité produite mais tout autant sur les acidités, sur les équilibres ainsi que sur la « buvabilité ». Ainsi le Sauternes ne « fait plus mal à la tête » comme on a pu l’entendre pendant des années.

Je dirais que l’AOC, tout comme les autres appellations moelleuses et liquoreuses de France s’est enfermée dans « Sauternes = foie gras = Noël ». Il est vrai que certains Sauternes vont parfaitement bien avec ce met délicat qu’est le foie gras, mais le réduire à uniquement cela est une hérésie !
Hélas, cette stratégie mauvaise (et facile) a enfermé cette catégorie de vin dans un instant de dégustation unique et « luxueux » comme le serait un plat de fête. Il nous faut travailler dessus autant au niveau de l’appellation, du CIVB, des journalistes, des vignerons, des sommeliers que des agences de communication concernées !

©SéverineDejean

Il y a également un déficit de communication de, et autour de cette appellation ainsi qu’un grand manque de soutien de la part de l’interprofession. Il est vrai que l’on produit moins de bouteilles de Sauternes à Bordeaux que de Bordeaux Rosé mais est ce que les Bordeaux Rosés ont autant (et continue de) contribuer à l’aura de Bordeaux à travers le monde ? Trouve-t-on de nombreux écrits de rois, de philosophes, de romanciers ou de célèbres personnages tels que Thomas Jefferson, les Tsars de Russie, Le Grand Duc Constantin, la reine Élisabeth II, Charles IX vantant les qualités d’un Bordeaux rosé ? Non !
Je tiens à rassurer mes amis producteurs de vins rosés, je n’ai rien contre vous. Je déguste régulièrement vos produits et il y en a de très bien faits ! Mais certains choix de communication, chaque année répétitifs, ont la fâcheuse tendance à susciter mon incompréhension. Il est impératif de communiquer autour des liquoreux de Bordeaux ! Car même s’ils ne représentent que quelques petits pourcentages de la production girondine ils participent grandement à la « légende Bordeaux ».

Il nous faut également soutenir les actuels investisseurs Sauternais qui essayent de réveiller l’appellation. Ce n’est pas à eux seuls de « faire le job ».
Il est aussi indispensable que le syndicat d’appellation lui-même, selon ses moyens, se mette enfin à communiquer de manière efficiente. Il n’y a que comme cela que Sauternes pourra sortir de la crise traversée depuis des années.

En ce qui me concerne je le fais régulièrement, à ma petite mesure, autour d’interviews, de sessions de notations, d’actualités ou de dégustations organisées (Wine Selection by Vertdevin).

Parlons du prix. Oui, il est vrai qu’une bouteille de liquoreux coûte généralement plus chère qu’une bouteille de blanc sec, mais faut-il encore comparer ce qui est comparable. Avec un pied de vigne un vigneron produit (en moyenne) un verre de liquoreux, alors qu’avec ce même pied il pourrait produire 7 verres de blanc sec. Amis consommateurs, dites-vous qu’un Sauternes ou plus généralement un liquoreux vendu en dessous de 10/12 euros est un produit vendu à perte !

Je tiens également à préciser que, en dehors des rares vins de Sauternes qui dépassent la centaine d’euros la bouteille, le prix de la majorité des vins est compris entre 15 et 30euros. Ce qui est loin de valoriser le travail fourni et ne permet pas forcément de dégager de bénéfice à la hauteur des investissements concédés. Il est important de considérer qu’un vignoble n’est pas une œuvre philanthropique mais une entreprise. Donc s’il n’y a pas de rentabilité le vignoble est alors appelé à mourir.

Une part de la responsabilité revient également aux différents revendeurs. Il est vrai qu’il est plus compliqué de vendre (compte tenu des points précédents) un liquoreux qu’un vin rouge d’une grande appellation et concrètement pas grand-chose est fait pour aider les revendeurs à en vendre ! Mais tout comme il est du devoir du journaliste (patience, j’y viens !) de défendre Sauternes et plus généralement les grandes appellations de vins liquoreux, il est également du devoir moral du vendeur/revendeur de proposer systématiquement ces vins. Il en va de la sauvegarde de notre patrimoine, de notre histoire, de notre richesse et diversité viticole. Amis cavistes, sommeliers, négociants, prenez des allocations. Essayez de systématiquement placer quelques bouteilles de liquoreux dans les commandes ou de placer régulièrement un vigneron de Sauternes dans vos repas avec vos clients. Il sera le meilleur ambassadeur possible pour porter ce produit !

©SéverineDejean

Pour terminer je souhaiterais parler de la responsabilité des journalistes, blogueurs et autres « consom’acteur » notant en ligne ce qu’ils dégustent. Il est vrai pour notre défense que lorsque peu de monde communique sur l’AOC, qu’il y a peu de production, très peu d’annonceurs (proche du zéro) et que le produit ne représente qu’une très faible part de marché il n’est pas forcément évident au premier abord de parler régulièrement de ladite appellation. Quant à cela on rajoute que le produit en question est enfermé dans une périodicité plus que limitée en parler à un autre moment de l’année révèle au mieux de la passion, au pire de la folie !

Toutefois on ne peut pas être un « influenceur » vin sérieux sans être amoureux des vins dans son ensemble, de l’histoire viticole de notre pays et sans vouloir les défendre ! Il est donc, également de notre devoir moral d’en parler régulièrement, de les mettre en avant à tout moment de l’année mais également d’en servir nous-même lors des différents diners / évènements. Soyons fous, parlons de Sauternes cet été ne serait-ce que d’une seule bouteille mais parlons-en !

Alors quand et comment boire du Sauternes ?

Vaste, compliqué et interminable sujet ! Certains vous diront « uniquement en fin de repas sinon vous allez tuer vos papilles… » A ceux-là, inutile de rentrer dans le débat je n’arriverais pas à les convaincre.

Il faut avant tout prendre en considération qu’il n’y a pas UN Sauternes mais DES Sauternes donc une grande diversité de styles, de terroirs, d’assemblages, de sensibilités et donc d’instants de dégustation ! Vous pouvez parfaitement, contrairement à une idée reçue, commencer (apéritif ou entrée) avec un Sauternes. Prévoyez simplement quelques bulles (eau pétillante, Champagne) par la suite avant de passer sur un vin rouge.

Côté accords mets & vins osez les fromages à pâte dure, les fromages bleus, la volaille, les Saint-Jacques, les huitres, des crevettes curry, certains poissons blancs, le porc au caramel, les sushis/makis (et plus généralement la cuisine japonaise), la cuisine épicée (Exemples : thaïlandaise, chinoise, indienne. Attention aux plats beaucoup trop épicés), le magret, un tajine, un carré d’agneau caramélisé… et la liste peut encore être complétée !
En dehors des combinaisons classiques sucrées (faire attention au sucre sur le sucre !) il existe une multitude de merveilleux accords mets & Sauternes à qui veut bien se pencher sur la question et faire preuve d’originalité. Il n’y a que trois règles à garder en tête « Sortir des sentiers battus, du classicisme ! », chercher l’équilibre et surtout se faire plaisir !

 

Choukroun Chicheportiche Jonathan